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"La PAC doit défendre tous les agriculteurs et toutes les agricultures"

Dernière mise à jour : 1 avr. 2021

Interview réalisée pour l’émission L’Habit ne fait pas l’Europe sur Radio Arc-en-ciel, animée par Les Jeunes Européens de Strasbourg.

Photo : pixabay.com


ENTRETIEN. Créée en 1962, la Politique Agricole Commune (PAC) est une politique européenne fondée principalement sur des mesures de contrôle des prix et de subvention de l’agriculture. Tous les 7 ans, la PAC connaît de nouvelles réformes, la prochaine étant pour la période 2021-2027. Dans le cadre de sa chronique Comment s’est loin l’Europe, Rémi Jabet s’est entretenu avec Benoît Corman, céréalier en Seine-et-Marne (77), afin de recueillir son ressenti vis-à-vis de la nouvelle réforme de PAC.


Rémi Jabet : Pour la période 2015-2021, la Politique Agricole Commune était annoncée comme étant plus verte et plus juste. Avez-vous vu un changement depuis cette réforme de 2015 ?


Benoît Corman : Tout d’abord, j’aimerai revenir sur l’histoire de la PAC. Pendant les trente glorieuses, on a demandé aux agriculteurs d’arriver à une auto-suffisance alimentaire au niveau européen. Pour se faire, l’agriculture a mis tous les moyens, par le biais de l’intensification notamment, pour arriver à cette auto-suffisance alimentaire. Sauf que ça a tellement bien marché qu’on est arrivé à une surproduction durant les années 80 et 90. Il y a eu les quotas laitiers et, plus tard, la suppression de ces quotas. Le début de la PAC, telle qu’on la connaît aujourd’hui, est la PAC de 1992 où a été imposé aux agriculteurs le gel des terres. C’était quand même une petite révolution à cette époque là puisqu’on demandait aux agriculteurs de geler à peu près 15% de leur surface cultivée pour éviter de faire de la production agricole, ce qui allait à l’encontre même du métier d’agriculteur. Je pense que cela a été un grand virage où l’on est passé d’une politique de prix, c’est-à-dire qu’on était payé en livrant notre blé à un prix qui était définit au niveau européen, à une politique de prime où chaque production a été aidée par le biais de subventions, et donc ciblées en fonction des produits cultivés.


Après cette première phase, il y a eu des changements sociétaux. Aujourd’hui, on parle de verdissement de la PAC et différentes choses ont été introduites, mais qui sont aussi devenues des contraintes pour l’agriculture. On peut parler des SIE (Surface d’Intérêt Écologique), des BCAE (Bonnes Pratiques Agro-environnementales), etc. Malgré l’histoire récente de la PAC, même trente ans en arrière, on se rend compte que les agriculteurs ont souvent été une variable d’ajustement des différentes politiques agricoles, et on le voit bien aujourd’hui avec des évolutions sociétales. En effet, on dit aujourd’hui que la société veut manger différemment et veut avoir de la traçabilité des produits. Avec ces changements, on dit aux agriculteurs : « non, vous n’avez pas compris ! En fait, maintenant, il faut faire comme ça. ». Donc ça fait trente ans qu’on vous dit le contraire mais la vérité maintenant elle est ailleurs…


RJ : Qu’est-ce que la PAC vous apporte aujourd’hui ? Vous avez énuméré un certains nombres de points positifs, notamment au début de la création de cette Politique Agricole Commune, mais quels sont les points à améliorer selon vous ?


BC : La PAC nous apporte beaucoup de choses. Elle apporte tout d’abord une relative stabilité des marchés, même si aujourd’hui les marchés sont mondiaux. La PAC, et l’Europe, n’est qu’un maillon dans tous les échanges. En effet, rien que sur le secteur céréalier, les grands acteurs ont changés. Maintenant la Russie devient un acteur majeur, vous avez toujours les États-Unis, l’Australie… L’Europe est au milieu de tout ça et heureusement qu’il y a la PAC pour maintenir un certain niveau à l’agriculture européenne. La PAC permet également d’orienter certaines productions par rapport à d’autres et les aider. Par exemple, en ce moment, ils veulent relancer les protéagineux (légumineuse qui contient une grande proportion de protéines). Par le biais des primes, on peut justement influencer le fait que les agriculteurs s’orientent plus vers telles ou telles productions ou cultures spécialisées.


Donc, c’est important que l’Europe puisse peser face aux grands acteurs mondiaux. On le voit dans les négociations, rien que dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC), c’est important d’avoir un interlocuteur fiable face aux différents acteurs mondiaux. Et la PAC reste un outil indispensable d’aides au revenus par le biais également des orientations politiques, et surtout des politiques agricoles qui sont choisis.


RJ : Justement, quel avenir voyez-vous pour la PAC ? Et où les curseurs devraient-ils être poser afin de réconcilier les agriculteurs avec la cette politique ?

BC : La question de fond serait : où voulons-nous des agriculteurs et pour quoi faire ? Il y a vraiment des points très importants et c’est essentiel dans tous les débats qui agitent le monde agricole. Il faut avant tout éviter des distorsions de concurrence entre les États membres de l’Union européenne. Prenons l’exemple du glyphosate, on en a beaucoup parlé. Je ne parle pas du glyphosate sur le fond mais il y a une décision franco-française qui a été prise à un moment donné de dire qu’on allait interdire ce produit à partir de telle année, sauf qu’il n’y a pas eu de discussion entre les pays européens. Interdire une molécule comme celle-ci, sans avoir de solution de substitution, est de remettre en cause des systèmes agricoles. Par exemple l’agriculture de conservation, qui est toute une démarche, utilise forcément du glyphosate à des doses qui sont totalement maitrisées. Donc dire qu’on va le supprimer, si ce n’est pas fait en bonne concertation avec ses voisins, c’est se mettre déjà dans une infériorité technique et économique par rapport aux autres. On a connu les mêmes choses avec les néonicotinoïdes, un traitement de semence pour les betteraves, où l’année dernière ce traitement a été supprimé. La morale de l’histoire est qu’on a eu une récolte de betteraves totalement catastrophique, jusqu’à mettre en péril toute la filière betteravière. Depuis, il y a eu un rétropédalage des autorités françaises pour sauver la filière et remettre ce produit pour trois ans.

Si on veut que la PAC fonctionne bien et qu’elle soit bien acceptée par les producteurs, il faut que les agriculteurs aient l’impression d’être traités d’égal à égal avec tous leurs collègues européens. Quand on voit ce qu’il se trame sur la futur PAC, j’ai un peu peur que ça ne reprenne pas tout à fait ce chemin. L’Union européenne veut renationnaliser certaines aides et que les États puissent décider d’aider ponctuellement leurs agriculteurs.


Dans les autres choses qu’on peut aussi reprocher est qu’il y a une administration, une paperasserie qui est toujours plus importante, où l’on nous demande aux agriculteurs de prouver tout ce qu’ils font. C’est bien mais est-ce que le blé qui vient d’Ukraine ou le poulet qui vient d’Amérique du Sud peuvent avoir la même traçabilité que ce qu’on demande aux producteurs européens ? Je ne le crois pas.


Donc il faut absolument que l’accent soit mis là-dessus est qu’on cesse cette hypocrisie qui consiste parfois à laver plus blanc que blanc tout en sachant que sur d’autres produits importés, on va être capable de fermer les yeux sur ce qu’il se passe. La traçabilité ne s’arête pas aux frontières de l’Europe, elle doit être pour tout le monde !


Certes la PAC est là et il faut à tout la défendre, mais elle doit défendre tous les agriculteurs et surtout toutes les agricultures. Il ne faut surtout pas opposer les systèmes les uns par rapport aux autres.


RJ : Jusqu’à aujourd’hui, la PAC était appliquée de la même façon à tous les États membres. Mais avec la nouvelle réforme qui arrive, chaque État aura davantage de liberté. Vous êtes plutôt réticent à cette réforme…


BC : Je ne trouve pas que se soit aller dans le bon sens. Effectivement, c’est bien que chaque État puisse imprimer sa marque. Il y a eu tout un débat ces dernières années entre le coup de la main d’oeuvre. Par exemple, en Allemagne, on a su que beaucoup de main d’oeuvre à bas coûts provenait des pays de l’Est. Prenons l’exemple d’une production maraîchère ou arboricole. On sait que l’impact du coût de la main d’oeuvre est très important donc à partir du moment où tel pays peut avoir de la main d’oeuvre dont le coût est 2 fois moins important est tout de suite une distorsion de concurrence. Dernier exemple, il y a eu des produits autorisés en Espagne qui ne l’étaient plus en France. Là encore, on voit bien que chaque État n’est pas égal. Bien sûr que chaque État à envie de maintenir ses agriculteurs mais comment concilier tout ça ? Est-ce que chaque État va tenir informer son voisin ? J’attends de voir les tenants et aboutissants de la nouvelle réforme de la PAC mais attention car il peut y avoir danger !

Retrouvez cette interview dans l’émission « L’Habit ne fait pas l’Europe » diffusée le 23 mars sur Radio Arc-en-ciel. Chaque mois, le pôle média des Jeunes Européens - Strasbourg intervient dans cette émission afin de mieux comprendre les enjeux européens.

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