Interview réalisée pour l’émission L’Habit ne fait pas l’Europe sur Radio Arc-en-ciel, animée par Les Jeunes Européens de Strasbourg.
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ENTRETIEN. Créée en 1962, la Politique Agricole Commune (PAC) est une politique européenne fondée principalement sur des mesures de contrôle des prix et de subvention de l’agriculture. Tous les 7 ans, la PAC connaît de nouvelles réformes, la prochaine étant pour la période 2021-2027. Dans le cadre de sa chronique Comment s’est loin l’Europe, Rémi Jabet s’est entretenu avec Samuel Ligonnière, maître de conférence en économie à l’Université de Strasbourg. Parmi ses travaux, il travaille notamment sur les enjeux économiques de la Politique Agricole Commune.
Rémi Jabet : Jusqu’à aujourd’hui, la PAC était appliquée de la même façon à tous les États membres de l’Union européenne. Mais pour la période 2021-2027, chaque État aura davantage de liberté. Que pensez-vous de ce nouveau volet de cette réforme ?
Samuel Ligonnière : Par rapport à cette aspect de liberté, je pense que c’est une bonne chose pour deux raisons. C’est une bonne chose au niveau historique car la PAC, créée dans les années 60, a été pensée par rapports aux 6 États membres. Donc, apporter de la liberté pour ces différents États membres est au final une réponse à l’élargissement et l’approfondissement de l’Union européenne car ce n’est pas pareil lorsqu’on a une Europe à 6 ou 27 États. Le deuxième élément positif est que l’Europe est diversifiée et différente. Elle est différente par rapport aux secteurs de production. Quand on pense à l’agriculture en France, ce n’est pas du tout la même chose que l’agriculture en Espagne, en Italie ou dans les pays d’Europe de l’Est. On n’a pas du tout la même agriculture ! Il est donc logique d’avoir une Politique Agricole Commune qui soit, certes commune dans ses volontés profondes, mais qui peut se différencier en fonction de ses différents besoins, des secteurs et des présences individuelles.
Vu la diversité de ces pays, il est logique qu’on leur permettre d’avoir justement plus de diversité. C’est utile pour les États, pour leurs structures économiques mais également pour leurs politiques économiques car le poids de l’agriculture est différent dans ces pays. Dans ces multiples pays, il y a des politiques économiques variées, qui vont plus ou moins mettre l’accent sur l’agriculture ou sur l’industrie.
RJ : Voyez-vous d’un bon oeil que la réforme de la PAC se tourne davantage vers la protection de l’environnement ? Cela risque-t-il d’avoir un impact économique pour les agriculteurs ?
SL : Oui, cela correspond à nos besoins. C’est-à-dire que les politiques économiques reflètent les préférences des individus. Les États démocratiques de l’UE font que nos gouvernements représentent les préférences de nos électeurs et nous voyons bien le besoin pour le bio et la protection de l’environnement, qui est un trait important des électeurs, notamment pour l’Allemagne, la France ou encore l’Italie. Les individus qui fondent l’Europe sont de plus en plus attachés à la protection de l’environnement, il est donc logique que les politiques économiques protègent de mieux en mieux l’environnement.
Concernant votre question qui est de savoir l’impact économique pour les agriculteurs. Là encore, les agriculteurs modifient leur comportement et vous avez de plus en plus agriculteurs qui se détournent de l’agriculture intensive pour aller vers cette démarche de développement durable. Sans pour autant renier toutes les vertus et potentielles biens faits de la culture intensive. Mais il y a quand même une tendance des agriculteurs qui vont vers davantage de bio et d’éléments de développement durable. Donc cela doit être une bonne chose pour les agriculteurs qui vont se spécialiser dans ces thématiques mais cela ne veut pas pour autant dire que les autres agriculteurs, qui ne vont pas vers ces idées là, vont se retrouver en faillites. Il y a toujours la PAC qui existe et une indemnité en fonction des hectares que les agriculteurs possèdent.
Donc, la PAC est de plus en plus verte et il y a un volet verdissement de la PAC qui est très important. On ne force cependant pas l’ensemble des agriculteurs à aller vers des démarches de développement durable.
RJ : Selon vous, où le curseur doit-il être posé afin de réconcilier certains agriculteurs avec la PAC ?
SL : C’est une vaste question mais qui, à mon sens, est assez simple à répondre. Il faut continuer de protéger les agriculteurs qui subissent les choques climatiques, il faut les aider face aux variations de prix des marchés mondiaux et face aux risques de paupérisation. Il faut bien penser aux nombres d’agriculteurs qui sont en situation financière critique et qui pour certains ont des histoires tragiques. Je rappelle quand même que un agriculteur se suicide chaque jour…
Pour revenir à votre question, ce n’est pas tellement une histoire de curseur à mon sens. C’est plus une logique de deux piliers : il faut protéger les agriculteurs des différents choques mais il faut également les inciter à se tourner vers des pratiques plus durables.
Retrouvez cette interview dans l’émission « L’Habit ne fait pas l’Europe » diffusée le 23 mars sur Radio Arc-en-ciel. Chaque mois, le pôle média des Jeunes Européens - Strasbourg intervient dans cette émission afin de mieux comprendre les enjeux européens.
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